Rédemption, de Josette Bournet

par Léon Gerbe *

Josette Bournet, de Châteldon, a peint suivant sa manière rude, intensément évocatrice, une femme dont le visage pensif retient et dont le corps demi-nu se détache sur un fond d’intérieur brossé à la diable avec des couleurs qui éclatent. Mais où Josette Bournet affirme sans conteste un talent d’une originalité indéniable, c’est dans sa vaste composition d’Art religieux : Rédemption. Ce triptyque étonne, inquiète et intrigue à la fois. Et quoi qu’on fasse – qu’on l’aime ou qu’on le déteste – cette composition s’impose aux sens et à l’esprit, par une secrète puissance et l’étrange et sombre mysticisme qu’elle dégage.


Josette Bournet, Rédemption, Salon d'Automne 1932.
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Le volet de gauche représente sur la place déserte d’un bourg ahurissant avec ses ruelles vides et ses maisons ivres, une ronde d’enfants : tous ces pauvres gosses tournent leurs visages pâlots, leurs regards où se lit l’angoisse, vers un même point d’où doit se lever on ne sait quelle obscure et terrible menace. Le panneau central met en scène dans des attitudes figées un groupe de jeunes hommes, tout de noir vêtus, qui songent lugubrement ou psalmodient sans doute quelque « Dies irae » dans un décor tragique de cheminée d’usines, sous un ciel noir et pesant comme un ciel de Jugement dernier. Enfin le volet de droite, plus énigmatique encore que les précédents, soumet à la perspicacité des visiteurs une petite ville noiraude, sans une âme par les rues rectilignes, où songent seules des maisons sagement alignées comme des joujoux de Nuremberg ; par contre, dressés debout et nus sur une colline inattendue, l’Homme et la femme dominent la ville de leur gigantesque et terrible nudité, comme au début du Monde…

L’ensemble est brossé largement dans une grisaille désespérante et manque d’air. Dans ces domaines extra-terrestres et cependant si chargés d’humanité où se complait Josette Bournet, il semble que toute espérance soit bannie. La peinture religieuse de Josette Bournet, avec son caractère apocalyptique, rappelle à la fois les pages maudites, sombre, tourmentées de Huysmans, l’étrangeté biblique des certains romans de Ramuz, et l’imagerie puérile de la géhenne des prophètes hébraïques. Toutes les compositions religieuses de Josette Bournet diffusent ainsi un mysticisme moyenâgeux, désespérant et taciturne. Toute une triste humanité est là courbée sous la ire de Dieu le Père ; on désirerait un peu d’air, un rayon de lumière, on souhaiterait voir s’ouvrir une lucarne vers le ciel, mais il n’y a rien, rien qu’une chape de plomb qui pèse sur des foules hébétées ; c’est à cet hermétisme inexorable que tient sans doute l’extraordinaire puissance de ces étonnantes compositions qu’on est en droit de ne pas aimer, mais dont on est bien obligé de subir l’incantation et le frisson d’épouvante.

* Voir https://maitron.fr/spip.php?article76201
Le triptyque Rédemption a été exposé au Salon d'Automne 1932. Il ne reste qu'une photo noir et blanc du volet droit. L'article de Gerbe est paru paru dans L'Avenir du plateau central du 9 novembre 1932.