Josette BOURNET

par Luc Benoist *

En 1931 je vis entrer dans mon bureau une jeune femme très brune, d'une élégance d'autant plus raffinée qu'elle était retenue par une sobriété savante. Son visage mat, d'une régularité latine, s'imposait par l'énergie du regard et l'âpreté de la voix qu'accompagnait la rapidité de son élan. C'était Josette Bournet. Je faisais alors de la critique d'art et j'avais cité dans mon dernier papier sur le Salon des Tuileries deux portraits inquiétants et un peu modiglianesques, que le placeur avait négligemment accrochés dans un coin. Ils m'avaient frappé par une intensité de vie que la venue de l'artiste me permettait de retrouver dans celle de sa personne. J’avais cru d’ailleurs qu’il s’agissait de portraits de prolétaires. Or c’était ceux d’un fils d’ambassadeur et d’une fille de membre de l’Institut. Mais l’ascendance socialiste de l’artiste et ses convictions évangéliques avaient, non moins que son tempérament, transformé sa vision.

J'ai pu ensuite suivre la production de Josette Bournet jusqu'à ce que j'abandonne le métier de chroniqueur pour celui d'historien. Le long de ces dix années, Josette Bournet conserva toute l'audace ingénue et confondante de ses débuts, qui remplaçait chez elle la lente formation du métier qu'elle recevait pourtant aux « Ateliers d'Art Sacré » dirigés par Georges Desvallières. Sa fougue d'inspiration, elle l'empruntait et la transmettait à travers les visages humains dont la présence lui était nécessaire. Elle entourait ces dures effigies d'une frange d'inconsciente horreur, celle dont chacun de nous subit à un certain moment l'invisible puissance. Même ses portraits d'enfants étaient d'une âpreté candide et d'une violence ingénue. Mais sa puissance d'évocation, son cruel sens psychologique ne trouvaient pas toujours chez elle une patience suffisante pour en achever l'harmonie et atteindre son but. Elle en indiquait du moins la direction. L'artiste en peignant entrait en transe comme un médium. Et après avoir confié à un visage ce qui lui convenait de tirer d'elle en fait d'inquiétude, elle abandonnait à leur sort les pauvres corps humains négligés.

Mais son ambition la portait aux grandes choses. Et elle ne pouvait se contenter du masque d'un étroit visage. Aussi, à trois reprises au moins, exposa-t-elle de grands triptyques, notamment celui qu'elle intitula Rédemption, où elle disait sa vision de la vie, ses joies et ses tristesses, dans des synthèses généreuses, peuplées de visages d'une âpreté espagnole. Variant ses sujets, elle exposa en 1933 une grande marine, une vue de port par gros temps, d'une ampleur si mouvementée qu'on en ressentait presque un léger malaise.

Souvent son envoi a été le plus grand du Salon, comme l'année où elle accrocha la place d'un bourg auvergnat où des enfants jouaient au mariage. Les maisons qui bordaient la place, les visages des petits acteurs formaient des morceaux puissants qui flottaient dans une sorte de brume de lumière. Ce bourg était celui de sa naissance et je découvrais que son énergie, elle l'empruntait à cette race latine, à cette terre de volcans mal éteints où les maisons de pierre ossifiée paraissent saupoudrées de cendre. Le noir qu'elle aimait était celui des murs de granit et de lave, sa rudesse celle des bois noirs et des burons de vachers. C'est pourquoi elle réussissait si bien ces villages hallucinés où la peur et le destin vous guette au coin des rues.

* Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Luc_Benoist