A l’assaut du ciel

par François Leca *

Josette Bournet commence à peindre en 1925. La même année où Marcel Duchamp, en faisant retraite dans les échecs, signe la fin de l’histoire de la peinture.

Josette Bournet dira plus tard que si à cette époque-là elle avait connu l’œuvre de Van Gogh, elle n’aurait jamais peint. En 1925, il semble qu’elle ne connaisse rien à l’histoire de la peinture. En dehors d’un grand oncle musicien qu’elle n’a pas connu, sa famille est tout à fait étrangère à l’art. Josette Bournet ignore alors non seulement Van Gogh, mais tout ce qui précède, tout ce qui environne, tout ce qui suit.

Comment, pourquoi peindre dans de telles conditions ?

Il est possible que si elle avait eu vingt ans vingt ans plus tôt ou vingt ans plus tard, elle n’aurait jamais peint. Elle profite sans le savoir d’une sorte d’espace libre, de vide, un peu comparable à l’œil du cyclone.

Le point commun avec Marcel Duchamp, qui range donc ses pinceaux cette année-là, c’est le gout du jeu. Mais chez elle, cela avait d’abord pris la forme du défi dans le sport. Des prouesses en ski, au tir au revolver. La main et le regard, déjà. Est-elle consciente de la nature du défi qu’elle jette en entrant en peinture ? C’est peu vraisemblable, puisque l’inconscient dans un certain sens commence à avoir droit de cité. Qu’importe. Mais elle va découvrir qu’un peintre joue désormais sa vie tous les jours où il peint.

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Une femme peintre, un peintre femme – elle a battu les hommes en course de fond à ski, au tir au revolver, elle n’a rien d’une égérie – dans cet entre deux guerres où tant de choses pivotent, où il apparait que tant de monuments se sont cassé la gueule, peut-elle avancer autrement qu’un alpiniste sur une pente où la roche est friable, en s’accrochant à tout sans s’appuyer trop longtemps sur quelque chose, ne comptant en fin de compte que sur sa propre énergie, sans mépris pour la matière, mais sans illusion ?

Avancer coute que coute. Eviter les impasses. Sans avoir pour autant le regard fixé sur un hypothétique sommet. A chaque jour suffit sa peine ou sa joie.

En matière d’impasse, Maurice Denis lui donne un double avertissement. Il a compris (comme Marcel Duchamp dans un sens) l’impasse où se trouvait au fond après Seurat la peinture. Mais alors que Duchamp cesse de peindre, Denis fait marche arrière. Bournet ressent peut-être plus profondément encore que Duchamp et Denis l’impasse, mais elle, relève le défi. Pour elle, et d’abord en tant que femme, la peinture n’est pas une raison de vivre de la même façon que pour un Maurice Denis. Le rôle social et l’argent n’ont pas la même importance que pour un homme. Elle pourra tourner le dos au monde sans en sortir.

Marx a dit que les communards étaient montés à l’assaut du ciel. Dans un sens, Bournet est aussi montée à sa façon à l’assaut du ciel.

* François Leca (1939-2008) était le fils de Josette Bournet et André Leca.